Affaire du militant antifasciste « Gino » Abazaj : les juges français favorables à sa mise en liberté ; décision le 9 avril sur le mandat d'arrêt européen délivré contre lui par la Hongrie de M. Orbán
De nouveau présenté devant la Cour d’appel de Paris mercredi 12 mars et sous le coup d’un mandat d’arrêt européen émis par la Hongrie, le jeune militant est accusé d’avoir commis des violences sur des néonazis rassemblés à Budapest en février 2023. Ses avocats ont démonté pièce par pièce les vraies-fausses « garanties » apportées par les autorités hongroises, tandis que le ministère public français, un temps partisan d’une « remise » automatique à Orbán, s’enfonce un peu plus dans l’embarras.
« Les opinions politiques de mon client ne sont pas très tendances en Hongrie. Compte tenu du danger en prison, on lui propose de le punir en le plaçant à l’isolement total », dénonce son avocat, Me Laurent Pasquet-Marinacce.
Cette fois, les murmures s’éteignent. Le silence envahit l’espace. Total. Grave. Il est 18 h 50, ce mercredi 12 mars, dans la salle d’audience de la Cour d’appel de Paris, réservée à l’examen des mandats d’arrêt européen. La porte donnant sur le box vitré va s’ouvrir, et la salle qui s’était vidée au fil de l’eau est de nouveau pleine.
Depuis le début de l’après-midi, des hommes qui, arrêtés ou emprisonnés en France, poursuivis ou condamnés par d’autres États, défilent : ils sont réclamés, pour des fraudes, des crimes et autres exactions, par la Belgique, l’Algérie, l’Espagne, etc. Bien encadré par trois molosses encagoulés des forces spéciales pénitentiaires, un djihadiste, condamné à une peine de 30 ans de prison lors du procès des attentats du 13 novembre 2015, a un peu plus tôt accepté d’être remis provisoirement aux autorités suédoises.
À présent, c’est le tour de Rexhino « Gino » Abazaj, antifasciste interpellé en France début novembre et emprisonné à Fresnes (Val-de-Marne) depuis quatre mois, accusé par la Hongrie d’avoir commis des violences ayant entraîné des blessures légères, en marge d’un rassemblement néonazi en février 2023. Violences qui auraient été planifiées au sein d’une « organisation criminelle » Vêtu d’une chemise blanche immaculée, le trentenaire pénètre dans le box et, dans un mouvement fugace vers les bancs du public, envoie son visage radieux à ses proches – parents, amoureuse, amis et camarades. Parmi eux, présente à chaque audience pour Gino depuis le début : Ilaria Salis qui, embastillée pendant 15 mois à Budapest pour la même affaire fabriquée par Viktor Orbán, n’a été libérée qu’après son élection au parlement européen en juin 2024.
Les singulières « garanties » apportées par la Hongrie
Saluant le mémoire de 60 pages déposé par la défense « avec beaucoup d’éléments » – « Vous nous avez même transmis une bande dessinée », interpelle-t-il, en référence au livre de Zerocalcare -, le président de cette chambre réservée aux procédures d’extradition ouvre le dossier. Il présente, pour rappel, l’état de la procédure et des débats.
En janvier dernier, la Cour d’appel de Paris avait demandé un complément d’informations aux autorités hongroises, pointant notamment une « présomption de défaillance systémique » en matière d’indépendance de la justice et de régime carcéral. Les « garanties » n’ont été apportées par la Hongrie qu’en deux temps : une première série de réponses, largement incomplète, et une seconde après une « relance du parquet général » français. Dans ces échanges, il y a un « premier élément un peu gênant », déplore le magistrat qui pointe une valse des peines encourues par Gino Abazaj : selon la Hongrie, elles pourraient aller jusqu’à 24 ans, contre 16 dans le mandat d’arrêt européen.
Une « surface garantie de 4 m2 » en cellule, des fenêtres « avec de la lumière naturelle », du « chauffage central », des accès « à la culture ou à du sport », des « psychologues », des « agents d’insertion », des « coiffeurs »… C’est presque un prospectus touristique pour ses geôles que Budapest a envoyé à Paris.
Clou de l’argumentation hongroise : en cas de risques pour l’intégrité physique de Gino, en vertu de ses opinions politiques très hostiles à l’extrême droite, Viktor Orbán et ses sbires pourront toujours offrir de le « placer à l’isolement pour protéger sa vie ». Non sans avoir relevé l’incapacité des Hongrois à désigner l’établissement pénitentiaire où, en cas de remise, Gino serait hébergé avant son procès, le président du tribunal chargé de l’examen des mandats d’arrêt européen ouvre ensuite le débat. « Nous avons deux visions opposées, constate-t-il. L’avocat général requiert la remise à la Hongrie, et la défense s’y oppose, en arguant du contexte actuel en matière d’État de droit en Hongrie. »
Un certain embarras gagne le ministère public français
Comme le ministère public le fait depuis le début de l’examen du mandat d’arrêt à l’encontre du jeune antifasciste de nationalité albanaise, mais ayant passé toute sa vie en Italie puis en Finlande, l’avocat général réclame dans ses réquisitions écrites sa remise sans délai aux autorités hongroises.
Mais à l’audience, un certain embarras transpire désormais de ce côté-là. « Dans ce dossier, il y a des questions qu’on peut se poser, mais attention à ne pas dépasser la frontière », admet l’avocat général. À plusieurs reprises, le magistrat du parquet, récusant toute idée d’un « procès politique » contre les antifascistes ayant protesté contre une commémoration proprement néonazie organisée tous les ans à Budapest, défend le cœur du mécanisme du mandat d’arrêt européen, basé sur la « confiance mutuelle partagée entre les pays de l’Union européenne ».
Selon lui, la Hongrie « a apporté une grande partie des réponses », même si « quelques éléments restent en suspens », tant pour les lourdes peines encourues que sur le lieu de détention réservé à Gino Abazaj. « Effectivement, ce n’est pas si clair que ça », concède-t-il en ajustant oralement ses réquisitions pour demander de nouvelles précisions à la justice hongroise.
Pour la défense de Gino Abazaj, Me Youri Krassoulia ne manque pas de relever ce changement de pied du parquet général. « Je note que les réquisitions sont modifiées et que la remise immédiate n’est plus demandée », insiste-t-il. Selon lui, « on est maintenant dans l’étape où il faut vérifier de manière concrète et précise qu’il n’existe pas de risque de traitements et inhumains » infligés au trentenaire qui se trouve dans le box.
Or, si la Hongrie transmet à la France des textes de loi, « elle ne peut pas nous dire quelles seront ses conditions de détention ». Et l’avocat d’enfoncer le coin : « Il nous est précisé qu’après sa condamnation, Gino Abazaj purgera sa peine dans un lieu de détention du centre de Budapest. Rien n’est dit sur la détention provisoire avant le procès. C’est une manière de violer la présomption d’innocence, c’est bien à l’image de tout ce dossier : M. Abazaj est déjà coupable. »
« Une impression glaçante que les condamnations sont écrites d’avance »
Pour Me Youri Krassoulia, le traitement réservé par la France aux prévenus ou aux condamnés se distingue nettement du régime appliqué par la Hongrie à Ilaria Salis, en 2024, et encore aujourd’hui à Maja, une militante allemande dont le procès vient de démarrer là-bas.
« On a pu voir tout à l’heure dans cette même salle quelqu’un de l’État islamique, eh bien, il n’était pas entravé aux mains et aux pieds comme le sont les antifascistes à Budapest ! », fait-il noter. Sur la « garantie » offerte au jeune antifasciste, l’avocat déroule : « En parlant, en guise de moyen de protection de son intégrité physique, de placer le détenu à l’isolement, la Hongrie remplace un danger par une sanction ».
Toujours pour Gino, Me Laurent Pasquet-Marinacce embraie. « Les opinions politiques de mon client ne sont pas très tendances en Hongrie, avance-t-il. Compte tenu du danger en prison, on lui propose de le punir en le plaçant à l’isolement total et, comme c’est prévu dans ce cas, en l’emmenant au tribunal avec des entraves très serrées. »
Démontrant de manière détaillée la soumission totale du système judiciaire au pouvoir exécutif hongrois, l’avocat témoigne directement du climat nauséabond à Budapest. « Nous sommes allés sur place et nous avons assisté à une audience dans le procès contre Maja, raconte-t-il. Cela donne une impression glaçante que les condamnations sont écrites d’avance. »
Avant le délibéré, le 9 avril, Gino pourrait être remis en liberté
Juge unique qui se réserve toutes les procédures contre les antifascistes, porte-voix de Viktor Orbán qui se répandent en insultes sur les réseaux sociaux et néonazis qui se donnent rendez-vous devant le tribunal… Me Laurent Pasquet-Marinacce pointe encore l’inflation subite dans la peine encourue par Gino : « Elle a augmenté de 50 % ces dernières semaines, passant de 16 à 24 ans, situe-t-il. Tout ça pour des blessures alléguées qui ont été guéries en moins de six jours, rappelons-le ! Et ce n’est pas un risque théorique puisque, dans les audiences précédentes pour Ilaria comme pour Maja, il a été proposé des peines allant de 11 à 14 ans en cas de plaider coupable… Tout ça fait écho directement au manque de loyauté des autorités hongroises dans ces dossiers. »
Vers 20 h 30, à l’issue des plaidoiries contre l’exécution du mandat d’arrêt européen, Gino Abazaj, invité par le président à prendre la parole, recueille la proposition. Revenant, dans son français encore hésitant, sur les faits pour lesquels il est devenu l’une des bêtes noires de Viktor Orbán en Europe, il ne pourra pas aller au bout, comme il l’a fait dans son courrier adressé à l’Humanité en décrivant la banalisation de l’extrême droite et la répression de ceux qui y résistent : « Le néofascisme reprend racine sur le continent, lance-t-il. Je suis allé à Budapest parce que, chaque année, des nazis envahissent les rues et terrorisent les locaux ou les étrangers. C’est très grave. »
En plus de l’examen du fond du dossier, les avocats de Gino ont réclamé sa remise en liberté conditionnelle, alors qu’il a déjà passé 4 mois en prison. Après un rapide examen, le tribunal a décidé de renvoyer la demande à une audience ultérieure le 26 mars, pour laisser le temps d’en vérifier les modalités concrètes. Sur l’exécution du mandat d’arrêt européen, la décision a, elle, été mise en délibéré au 9 avril prochain.