Incidence procédurale du désistement présumé de la partie civile

La partie civile, présumée s’être désistée de l’action qu’elle avait engagée devant la juridiction pénale en ne comparaissant pas à l’audience, ne peut exercer la même action devant cette juridiction sans avoir contesté, par la voie de l’appel ou de l’opposition, la décision ayant constaté son désistement.


Le 12 janvier 2016, une partie civile a fait délivrer une citation directe pour des faits d’abandon de famille prétendument commis du 1er octobre 2014 au 31 janvier 2016. Lors de l’audience qui s’est tenue pour fixer la consignation en application des dispositions de l’article 392-1 du code de procédure pénale, le tribunal correctionnel de Bobigny a constaté le désistement présumé de la partie civile poursuivante, puisqu’elle n’y était ni présente ni représentée.

Le 18 février suivant, la partie civile a fait citer, de nouveau, le prévenu devant la juridiction correctionnelle pour des faits d’abandon de famille commis sur une période de prévention sensiblement équivalente, courant du 1er octobre 2014 au 29 février 2016. Après avoir ordonné le versement d’une consignation, renvoyé l’affaire à une audience ultérieure, puis constaté le versement effectif de la consignation, le tribunal correctionnel de Bobigny est entré en voie de condamnation, le 3 octobre 2016, pour une période infractionnelle courant du 1er octobre 2014 au 31 juillet 2015 : prévenu et ministère public ont formé appel de cette décision.

Par arrêt du 22 décembre 2017, la cour d’appel de Paris a confirmé la déclaration de culpabilité, rejetant ainsi l’argumentation du prévenu selon laquelle la partie civile ne pouvait valablement l’attraire de nouveau devant le tribunal correctionnel de Bobigny par la délivrance d’une seconde citation directe puisque cette juridiction avait préalablement constaté le désistement présumé de la partie civile par un jugement en date du 15 février 2016.

Pour rejeter cette exception d’irrecevabilité de la citation directe, la cour d’appel a retenu en substance que :

  • d’une part, l’audience qui s’était tenue le 15 février avait été destinée à la fixation de la consignation due par la partie civile et qu’en l’absence de cette partie, cette consignation n’avait pas été fixée, de sorte que l’action publique n’avait donc pas été valablement engagée sur les faits visés par la citation directe ;
     

  • d’autre part, qu’il n’était pas établi que le jugement constatant le désistement présumé ait été signifié à la partie civile, et que, dès lors, il ne s’agissait pas d’une décision définitive, qu’en conséquence, ce désistement ne pouvait avoir pour effet de rendre irrecevable une seconde citation directe pour les mêmes faits.

Au visa des articles 425 et 426 du code de procédure pénale, la chambre criminelle vient censurer le raisonnement des juges du fond en affirmant le principe selon lequel « la partie civile, qui est présumée s’être désistée de l’action qu’elle avait engagée devant la juridiction pénale en ne comparaissant pas à l’audience, ne peut exercer la même action devant cette juridiction sans avoir contesté, par la voie de l’appel ou de l’opposition, la décision ayant constaté le désistement ».

Force est de rappeler que, devant la juridiction de jugement, une partie civile peut librement se désister de son action après s’être constituée en procédure, par voie d’action ou d’intervention : le désistement peut être « exprès », auquel cas il n’est soumis à aucun formalisme particulier ; le désistement peut être « présumé », auquel cas il résulte de la défaillance de la partie civile (v., pour aller plus loin, Rep. pén., Désistement, par A.-S. Chavent-Leclère).

Lorsqu’il est « présumé », le désistement procède donc d’une inertie : l’article 425, alinéa 1er, du code de procédure pénale – qui ne s’applique qu’à la partie civile, à l’exclusion de toute autre partie (Crim. 25 mars 1997, n° 96-82.247, inédit) – énonce que « la partie civile régulièrement citée qui ne comparaît pas ou n’est pas représentée à l’audience est considérée comme se désistant de sa constitution de partie civile ». En pareilles circonstances, lorsque l’action publique a été mise en mouvement par la citation directe délivrée par la partie civile défaillante, le tribunal ne statue pas sur l’action publique, sauf à ce que cela soit requis par le ministère public (C. pr. pén., art. 425, al. 2).

Le jugement constatant le désistement présumé, qui est assimilé à un jugement par défaut, doit être signifié à la partie civile par exploit d’huissier conformément aux dispositions des articles 550 et suivants du code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 425, al. 3). Un tel mode opératoire permettra, le cas échéant, d’assurer à la partie civile défaillante deux voies de contestation distinctes : selon une jurisprudence constante, la Cour de cassation considère en effet que la partie civile peut exercer son recours, soit par la voie de l’opposition, en application de l’article 425, alinéa 3, du code de procédure pénale, soit par celle de l’appel, sur le fondement des articles 497 et 499 du même code (Crim. 3 juin 2004, n° 03-87.092, Bull. crim. n° 146 ; 29 nov. 2000, n° 00-80.540, Dalloz jurisprudence ; 3 juin 1998, n° 97-82.541, Dalloz jurisprudence), étant observé qu’aucun texte ne semble interdire à la partie civile défaillante d’exercer son recours avant même que la décision ne lui ait été signifiée (Crim. 13 juin 2018, n° 17-80.913, Dalloz jurisprudence).

C’est bien cette construction jurisprudentielle que la chambre criminelle vient en l’espèce préciser : la partie civile défaillante, qui avait agi par voie d’action, ne pouvait faire délivrer une seconde citation directe devant la juridiction correctionnelle pour les mêmes faits, mais devait en réalité se saisir d’un des recours ci-dessus évoqués afin de contester utilement le jugement ayant constaté son désistement présumé.

Précisons que, lorsque le désistement est acquis, il ne fait en revanche pas obstacle à ce que l’action civile soit portée devant la juridiction civile compétente, comme le rappellent expressément les dispositions de l’article 426 du code de procédure pénale (v. égal. Crim. 2 mai 1972, n° 71-91.059, Bull. crim. n° 148).

Pour conclure, observons que la lecture de l’arrêt ne permet pas de répondre spontanément à deux interrogations juridiques de circonstance, à savoir :

  • d’une part, est-il possible de soutenir que, pour la période de prévention non inclue dans la citation initiale (c’est-à-dire celle courant du 1er février au 29 février 2016, voire peut-être plus exactement celle courant du 1er février au 18 février 2016 – date de la seconde citation, dans la mesure où il semble difficilement concevable de faire citer un prévenu pour une période de prévention non encore révolue au jour des poursuites) la seconde citation pourrait être considérée comme régulière ?
     

  • d’autre part, dans quelle mesure a-t-il été permis au prévenu de soulever pour la première fois à hauteur d’appel – comme semblait le dénoncer la partie civile devant les juges du fond, tel que cela ressort des motifs repris au moyen – l’exception d’irrecevabilité de la citation directe ?