La justice française ouvre la voie à l'extradition de l'ex-chef d'ETA Josu Ternera

Après dix-sept ans de clandestinité et malgré son rôle dans les négociations de paix, le dirigeant historique de l'organisation indépendantiste, assigné à résidence à Paris depuis juillet 2020, devrait être remis aux autorités espagnoles, estime la cour d'appel de Paris.


La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a estimé que Josu Ternera, l’ex-chef de l’organisation séparatiste basque ETA, qui a cessé la lutte armée en 2011, devrait être extradé en Espagne pour y être jugé. La justice française fait ainsi suite à une requête de Madrid au sujet de l’assassinat, le 25 juin 1980, du directeur de l’usine Michelin de Vitoria-Gasteiz, capitale administrative de la région du Pays basque en Espagne. Ce n’est pas la première fois que Jose Antonio Urrutikoetxea Bengoetxea (son véritable patronyme), assigné à résidence depuis juillet 2020, est confronté à une demande d’extradition. En novembre 2020, déjà, la justice française avait accepté de remettre l’ex-étarra à l’Espagne pour une autre affaire : un attentat à la voiture piégée contre la garde civile espagnole à Saragosse, qui avait fait 11 morts en 1987, dont cinq enfants.

Contacté par Libération, le cabinet d'avocats Xantiana Cachenaut et Maritxu Basurco, basé à Saint-Jean-de-Luz, estime que 30 Espagnols et Espagnoles seraient actuellement incarcérés sur le sol français pour leur appartenance présumée à ETA, la moitié faisant l'objet de mandats d'arrêt européens ou de demandes d'extradition vers l'Espagne.

Lutte armée pour un Pays basque unifié

Josu Ternera, 70 ans, a été arrêté après plus de seize ans en cavale à Sallanches (Haute-Savoie) le 16 mai 2019, devant un hôpital où il se rendait, sous une fausse identité, pour y être soigné pour un cancer. Entré dans le groupe «Euskadi Ta Askatasuna» (Pays basque et liberté) en 1970-1971, il a été un des chefs historiques du groupe dans les années 80, élu député du Parlement Basque de 1998 à 2005, alors qu’il était en prison.

L’ETA, impulsé sous le régime du dictateur espagnol Franco et d’inspiration marxiste-léniniste, a milité depuis sa création en 1959 jusqu’à l’arrêt définitif de la lutte armée en 2011 pour un Pays basque unifié et indépendant, rassemblant le Pays basque français (Bayonne, Saint-Jean-Pied-de-Port, Mauléon), et le Pays basque espagnol (Bilbao, Saint-Sébastien, Vitoria-Gasteiz, Pampelune). Le groupe est jugé responsable de 858 meurtres, ainsi que d’enlèvements et de tortures.

Un pourvoi en cassation

Son conseil, Laurent Pasquet-Marinacce, se dit «déçu» et annonce que son client «fera un pourvoi en cassation». Selon l'avocat, les faits, «très anciens», seraient «prescrits selon la loi espagnole». Autre argument de la défense : l'attentat de Michelin en 1980 «a été revendiqué par une organisation, ETA politico-militaire (pm), à laquelle Josu Urrutikoetxea n'a pas appartenu. Lui a été dans les instances dirigeantes d'ETA militaire (m). Ces groupes sont distincts et même opposés dans leurs moyens», dit-il, estimant que la demande d'extradition serait sciemment «tronquée».

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ETA politico-militaire, ETA militaire : la scission date bien des années 70, mais «le distinguo est ambigu», selon Jean Chalvidant, auteur de plusieurs ouvrages spécialisés, dont Secrets d'ETA, publié en 2012. «Josu Urrutikoetxea a continué à parler au nom du mouvement jusqu'à la fin de la lutte armée en 2011. Son aura, son autorité et son habileté à passer entre les mailles du filet répressif en ont fait la figure de proue d'ETA. Qu'elle soit militaire ou pas.»

Promoteur des négociations de paix

C'est là toute l'ambivalence du personnage : défenseur de la lutte armée pour l'indépendance, et promoteur des négociations de paix. Son parcours épouse les évolutions de la doctrine indépendantiste. Josu Urrutikoetxea a été ainsi «très impliqué dans les négociations de paix dans les années 2000 jusqu'à 2011, en rencontrant notamment des membres du gouvernement espagnol, relate Jean-Pierre Massias, professeur de droit à l'Université de Bayonne, spécialiste des processus de pacification et de transition démocratique. Avec sa vraie fausse clandestinité, il témoigne de la position ambiguë des négociateurs des groupes armés. Sans lui, ETA n'aurait vraisemblablement pas désarmé.» L'homme enregistre ainsi en mai 2018 la déclaration finale dans laquelle l'organisation jugée terroriste par la France et l'Espagne, annonce sa dissolution définitive.

Son extradition en Espagne signifierait un nouveau procès, attendu comme «inéquitable» et «politique» selon son avocat. Son éventuelle remise aux autorités espagnoles ne devrait cependant pas intervenir avant des mois, voire des années : il doit être rejugé deux fois en France dans des dossiers de terrorisme pour son rôle présumé au sein de l'organisation séparatiste basque entre 2002 et 2005 puis entre 2010 et 2013. Le premier procès se tiendra en février devant la cour d'appel de Paris, le second en juin devant le tribunal correctionnel de Paris.

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