L’ancien chef de l’organisation basque ETA Josu Urrutikoetxea, et son fils Egoitz, viennent de terminer une tournée des tribunaux parisiens. Les lourdes peines de prison ferme qui leur avaient été infligées durant leur cavale ont été extrêmement réduites, voire annulées. Dans un jugement récent, la justice a estimé qu’ETA n’était pas réductible, après 2011, à une organisation terroriste.
Tous les Basques connaissent leur nom. Les autres ont généralement du mal à le prononcer. Ils s’appellent Josu et Egoitz Urrutikoetxea. Deux figures du séparatisme basque. Deux des ultimes visages connus de la dernière insurrection armée d’Europe occidentale. Il y a le père, Josu, 70 ans. Et le fils, Egoitz, 47 ans. Un quart de siècle les sépare, mais les deux hommes se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Mêmes yeux brun profond. Même visage anguleux. Depuis septembre, ils étaient de retour devant la justice parisienne. En cavale, ces deux hommes, qui longtemps ont donné du fil à retordre aux polices de France et d'Espagne, avaient été lourdement condamnés par défaut pour appartenance à ETA, classée comme terroriste par l’Union européenne. Mais les dernières décisions de justice ont tout changé.
Josu Urrutikoetxea, plus connu sous le nom « Josu Ternera » (surnom dont l’ont affublé les policiers espagnols et qu’il exècre) fut un chef historique de l'Euskadi Ta Askatasuna (ETA). Le 3 mai 2018, c’est lui qui a prêté sa voix à l’organisation armée clandestine lorsqu’elle a annoncé, sur une bande audio, son autodissolution. Une déclaration qui a marqué la fin d'un demi-siècle de violences. C’est un an plus tard, après seize années de clandestinité, que l’ancien leader basque était arrêté sur le parking d'un hôpital de Savoie, où il venait de se faire opérer d’une tumeur. Son fils et héritier, Egoitz, doctorant en histoire, lui aussi un activiste de cause basque, jure pour sa part n'avoir jamais appartenu à ETA.
Fin d'un demi-siècle de violences
À Paris, entre septembre et novembre, pour ces habitués des tribunaux, l’heure des derniers procès avait enfin sonné. Ils comparaissaient à tour de rôle pour « association de malfaiteurs terroriste ». Le 13 septembre, Josu Urrutikoetxea devait être jugé pour des soupçons d’appartenance à l’organisation après son entrée en clandestinité, entre 2002 et 2005. Selon l'accusation, ses empreintes et celles de son fils ont été retrouvées à cette période dans des caches de l'ETA, dans le sud-ouest de la France. L’ex-leader avait été condamné à 7 ans de prison ferme pour cela, mais comme cette peine a été prononcée en son absence, il a pu demander à être rejugé en personne.
Mais, coup de théâtre : dès le début de l’audience, la présidente de la cour d’appel a décidé que le procès ne pouvait tout bonnement pas avoir lieu. « Tout est irrégulier, du mandat d’arrêt à l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel », s’est-elle étonnée. Le procès a été renvoyé, le dossier est reparti entre les mains du juge d’instruction. L'avocat des Urrutikoetxea, Me Laurent Pasquet-Marinacce, dénonce ainsi un mandat d’arrêt « vaseux » où « il n’y avait même pas la mention d’ETA ». Un sérieux vice de procédure. « Ce n’était pas un problème de charges, mais un problème juridique », assure un magistrat du parquet national antiterroriste. « Il doit être re-mis en examen par le juge d’instruction, qui devra ensuite renvoyer le dossier devant le tribunal. » En attendant, celui qui est surnommé « grand-père » d’ETA a pu sortir du Palais de justice par la grande porte, sans les menottes et avec le sourire.
Une autre victoire pour les Urrutikoetxea était survenue deux semaines plus tôt. Le 1er septembre, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé Josu Urrutikoetxea de faits de participation à une « association de malfaiteurs terroriste », cette fois entre 2011 et 2013. Son ADN et ses empreintes papillaires avaient été découverts dans des caches et des véhicules utilisés par ETA, censés prouver, selon l'accusation, son activisme dans l’organisation armée. Pas suffisant pour le tribunal. À ses yeux, ces empreintes ne prouvaient en rien un « rôle actif » de Josu Urrutikoetxea au sein de l’organisation, il n’y avait « aucune trace » de son engagement, malgré ses « contacts sporadiques » avec certains membres. L’intéressé assure, de son côté, avoir rompu avec le mouvement dès 2006. « Ni l’accusation, ni la défense n’apportent d’éléments de preuve incontestable [du contraire] », tranche la présidente de la 16e chambre, Corinne Goetzmann.
Une vie de fugitif et de diplomate
Cette relaxe n’est pas qu’un retournement — en cela que « Josu » avait été condamné à 7 ans de prison pour ces mêmes faits des années plus tôt. Elle témoigne aussi, selon la feuille de motivation de jugement que Marianne a pu consulter, d’une évolution majeure dans le regard que la justice porte sur l’organisation clandestine basque. « Entre 2011 et 2013, ETA était animée par un processus complexe de résolution d’un conflit qui a ensanglanté le Pays basque », observe le tribunal. À partir de ces années, ETA ne pouvait plus être réductible à une organisation ourdissant des attentats. Si des individus ont commis des délits au nom de leur mouvement jusqu’en 2018, ce n’était pas le cas de tous : « Durant le même laps de temps, d’autres oeuvraient en vue de la pacification », plaide le tribunal.
Cette distinction correspond à celle faite par Josu Urrutikoetxea lors d’un entretien exclusif nos colonnes en septembre 2020. Il y dévoilait sa vie de fugitif et de diplomate de l’ombre dans les négociations de paix à Genève (2006) et à Oslo (2011-2013). Convoqué par la justice espagnole, pour une enquête sur un attentat à Saragosse (Espagne) en 1987, auquel a toujours nié sa participation, Josu Urrutikoetxea était entré en clandestinité en 2002, lors d’un voyage en Suisse. Fugitif, il vivait sous le nom de « Daniel », dans de multiples planques, comme dans un village en Ariège, où il se présente à ses voisins comme un professeur, tout en œuvrant, en coulisses, au démantèlement d’ETA et aux pourparlers de paix. Pour « résoudre le plus ancien conflit armé d’Europe occidentale », nous confiait-il, « le travail a été périlleux ».
Fréquenter ce qu’il restait d’ETA tout en étant négociateur secret l’a plongé dans un imbroglio face à la justice, en partie résolu par ce jugement du 1er septembre. Car pour le tribunal qui l’a relaxé, « la participation au processus de paix » impliquait nécessairement des contacts avec toutes les parties du conflit, « y compris avec des membres de l’organisation terroriste ». Ces rencontres clandestines pouvaient donc expliquer la présence de traces ADN de Josu Ternera dans des caches ou des véhicules d’ETA.
Aucune amnistie
Reconnue pour la première fois par une juridiction française, à notre connaissance, cette existence d’un processus de paix « ne procure aucune impunité, ni amnistie », nuance le tribunal correctionnel de Paris dans un autre jugement du 17 novembre. Celui-là concerne donc Egoitz Urrutikoetxea. Le quadragénaire a été condamné à 2 ans de prison avec sursis pour « association de malfaiteurs terroriste », dans le cadre de deux procédures judiciaires datant d’il y a 16 et 18 ans. Bien moins qu'en son absence. Une décennie plus tôt, il avait écopé en tout de 8 années d'emprisonnement ferme pour ces mêmes faits.
Puis en 2015, Egoitz Urrutikoetxea a été interpellé, après neuf années d’une cavale un peu particulière. Bien que recherché, au moment de son interpellation, il étudiait à l’université Paris-Diderot, où il était inscrit sous son vrai nom. Il était aussi inscrit à Pôle emploi. Egoitz se savait traqué. Il avait décidé d'adopter une vie normale mais discrète. Depuis sa « disparition » en 2006, il n’avait certes pas de compte bancaire ni de domiciliation, mais il a été gardien de chalet, assistant d’un euro-député, et il a déclaré la naissance de son fils sous sa vraie identité. « Si Egoitz a mis en place des stratégies de discrétion, ce mode de vie ne peut s’assimiler à de la clandestinité », estime même le tribunal. Une descente de police, en 2014, hâte sa fuite vers la région parisienne.
« Si Egoitz a mis en place des stratégies de discrétion, ce mode de vie ne peut s’assimiler à de la clandestinité », selon le tribunal
La route d’Egoitz croise alors beaucoup celle de son père, également fugitif à la même époque (2002-2019). Tous deux se voient régulièrement dans des endroits tenus secrets. Parce qu’un fils veut voir son père, et parce qu’il désirait, selon son récit, participer au processus de paix au Pays basque. Probablement est-ce pour cela — soutient Egoitz face aux juges — que ses empreintes papillaires sont apparues sur un journal basque retrouvé dans un appartement d’un militant d’ETA à Bordeaux, sur un exemplaire de Pyrénées magazine déniché par les enquêteurs dans un appartement de Villeneuve-sur-Lot, dans un véhicule Peugeot, dans une serviette retrouvée dans un box... tous utilisés par Pedro Esquisabel, responsable de l’appareil militaire de ETA.
Bref, autant d'empreintes « sur des objets différents, dans des lieux différents, à des dates différentes, tous fréquentés ou utilisés par des membres éminents de l’organisation » en 2003-2005, résume le tribunal. Une période où le groupe séparatiste basque bouge encore qui plus est, extorque des fonds à des chefs d’entreprise basques en recourant à des lettres de menaces, revendique plusieurs attentats en Espagne...
Le fils condamné
Egoitz se défend, assurant qu'il a pu toucher tous ces objets n’importe où. Cet ADN n'a en effet été jamais retrouvé « en nombre », notent les juges, mais ces empreintes et ces suspicions de rencontre « sinon régulières, du moins répétées » à une période où « ETA était particulièrement active » ont convaincu le tribunal. S’il ne fait pas mystère de sa sympathie pour ETA, Egoitz se révélant même « très ambigu sur son éventuelle adhésion aux visées terroristes de cette organisation », d'après le tribunal, l’accusation n’a quant à elle jamais apporté la moindre preuve de son appartenance à l'organisation clandestine. Aucun document ou fichier saisi ne le cite, ni comme responsable, ni comme militant.
De fait, et en raison de « sa très forte insertion sociale et professionnelle », Egoitz Urrutikoetxea n'écope donc que de sursis. Il n'est pas non plus inscrit au fichier des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT). Sa défense s'émeut qu'une simple sympathie et de simples rencontres présumées puissent valoir une condamnation. Mais, selon nos informations, satisfait de n'avoir qu'une peine de sursis, le condamné ne fera probablement pas appel.